Extrait de Non Fides N°2 et de la brochure Réflexions sur le Travail

Nous publions un article de la camarade Pia sur le concept CADOR. C’est dommage qu’on ne peut le traduire en arabe tout de suite. En effet le Liban et le monde arabe regorge ces jours –ci de ces sociétés qui embauchent des dynamiques cravatés diplômés. Ils ne tardent pas à se désenchanter les pauvres. Nous continuons à penser que seuls une société communiste libertaire possède la solution.
L’article nous est parvenu par les camarades de la CNT AIT.

Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

Oui, je suis un CADOR !

« Vous partagez nos valeurs et notre ambition ? Vous êtes passionnés
d’événementiel, de street marketing, d’affichage ? Vous aimez le contact ?
Votre dynamisme et votre créativité se conjuguent avec votre écoute client
? Rejoignez les équipes Posterscope et participez au développement de la
Communication Out Of Home. »

Posterscope, l’agence leader en communication hors foyer

Après avoir postulé par Internet, Posterscope, société de « street
marketing », me propose un rendez vous à son siége dans le quartier de la
Défense à Paris. Quartier où règnent les zombies encravatés, les buildings
surdimensionnés, ainsi que divers personnels d’origine étrangère pour
récurer les chiottes des zombies et buildings sus mentionnés. C’est moche
à se damner. Arrivé à bon port, je me rend compte que nous sommes sept
dans cette salle décorée de posters à l’effigie de marques de sport bien
connues. Cette salle me rappelle les locaux dans lesquels travaillait mon
père avant de se faire jeter (d’ailleurs, il m’est désormais plus simple
de comprendre comment trois employés ont pu s’y suicider ces dernières
années) : pas de couleurs, pas de beauté, que du fonctionnel. Des trous
dans les bureaux pour y faire passer des fils, bords caoutchouteux, faux
plafond, faux sols, faux murs, faux sourires. L’atmosphère est
oppressante. Les volets sont entrouverts, je soupçonne la personne qui
doit nous « briefer » de nous observer à travers lorsqu’il n’est pas dans
la salle pour nous permettre de lire la petite brochure censée nous
expliquer en quoi consiste ce fameux job.

« Charte du bon équipier

UN POSTE, UNE DEVISE

L’équipier « Posterscope contact » est un

C.A.D.O.R. Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

AMBASSADEUR du titre auprès de ses lecteurs, Il est ponctuel, dynamique,
souriant, avenant. »

Le jeune homme censé représenter tout ce que nous devrions vouloir
atteindre, le statut de CADOR, entre enfin. Seulement le jeune homme est
hésitant, bégayant, mou et peu convaincu. Il me paraît tout de suite plus
humain qu’un CADOR. Il nous fait lire à voix haute la brochure à la con en
attendant que nous prenions l’initiative de commencer. Même s’il désigne
tout d’abord les deux seuls noirs de l’assistance, certainement pour
s’assurer qu’ils ne sont pas illettrés. Une jeune fille mal à l’aise, Ana
[1], lève le doigt timidement pour lire mais Jean [2] un garçon plus
dynamique et plus enjoué réussit à attirer l’attention de l’examinateur
vers lui en s’agitant et en parlant bruyamment. Bravo garçon, tu es
dynamique. La jeune fille semble frustrée et déçue d’elle même de n’avoir
pas réussi à faire montre de plus de dynamisme, mais soulagée tout de même
de ne pas avoir à se donner en spectacle pour épater monsieur posterscope.
S’en suit alors deux ou trois autres compétitions successives à celui qui
aura le plus d’initiative en léchage de cul.

Je ne me sens pas bien dans cette atmosphère. Je n’ai qu’une seule envie,
partager un moment seul ou avec les gens que j’aime pour enfin pouvoir
relâcher ma colère et détendre mes muscles, me sentir à l’aise et sans
surveillance de mes moindres faits et gestes. Examinateur, si seulement tu
savais comme je peux être « dynamique » et passionné pour distribuer des
tracts écrits ou co-écrits pour exprimer des sentiments sincères, comme je
suis enjoué lorsque je m’adonne à mes passions. Là je suis faussement à
l’aise, les dents serrées, la gencive qui saigne et les mains moites. J’ai
envie de te casser la gueule pour m’insurger contre ton vocabulaire
immonde. Car tu es ce que je hais, ce qui pourris ma vie. Ce qui fait la
norme à laquelle ma boite crânienne est inadaptée.

On passe à un tour de table « afin que tout le monde s’exprime ». Ana, mal
à l’aise, semble improviser tout en récitant des phrases toute faites. «
Je veux travailler parce que j’aime travailler ». Je ne te crois pas mais
je sais que cette contrition est difficile. Je suis incapable de faire des
courbettes à un employeur comme tu viens de le faire. Je reste admiratif
que tu puisse y arriver alors que je sens bien qu’au fond de toi tu
aimerais toi aussi être ailleurs.

Dans ce tour de table, Jean, sort du lot : « Je suis étudiant en économie
et passionné de street marketing hors foyer car j’aime le contact avec les
clients. Je suis dynamique et j’ai l’esprit d’initiative. Je suis
président d’une association et j’ai milité pendant trois ans dans un parti
donc la communication et le marketing ça me connaît ! » avec un clin d’œil
ostentatoire et insoutenable. Je le regarde, ébahit de constater que c’est
un être humain que j’ai en face de moi. Cravate bien serrée mais style «
décontracté ». il se donne l’image d’un gars « cool » et « détendu ». il
est à l’aise. Dents plus longues que les bras et ton plus que déterminé,
il souhaite montrer que dans cette pièce, s’il ne fallait en prendre
qu’un, ce serait lui, pas les autres. L’examinateur termine son speech et
demande à l’assemblée si quelqu’un a une question en montrant bien à tout
le monde que c’est le moment ou jamais de se faire remarquer. Jean revient
à la charge, toujours aussi sur de lui même : « moi j’ai une question,
quelles sont les possibilités d’évolution à posterscope ? ».

Pia

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